Un mentor n'oublie jamais son élève - Ruisseau de Rose

Perce-Neige entra dans le camp, elle tenait entre ses crocs un lapin d’une taille plutôt respectable. Elle venait de faire le dernier aller-retour entre les proies qu’elle avait attrapées et le camp. La chasse avait été très bonne. La guerrière posa sa prise sur le tas de gibier accompagné de Museau de Quartz qui s’était lui aussi surpassé lors de cette partie de chasse. Le tas de gibier était généreusement approvisionné, personne ne manquait de rien en cette Saison des Feuilles Vertes, c’était déjà ça. Avec le Mal Rouge qui continuait de faire des victimes, le manque de nourriture aurait pu être terrible pour le clan.

La guerrière sentit alors son ventre gargouiller, le délicieux fumet du lapin qu’elle venait de poser sur le tas lui avait ouvert l’appétit. Elle regarda quelques instants la pile de proies devant elle et décida de manger quelque chose d’un peu moins gros que la prise qu’elle venait de poser. Elle attrapa un campagnol et se redressa pour aller s’asseoir aux côtés de Museau de Quartz qui avait déjà entamé son repas. Alors que la guerrière allait s’asseoir pour commencer son repas, elle aperçut le pelage familier de Ruisseau de Rose. La lieutenante était seule, non loin du promontoire.

Il était rare de voir la chatte tachetée disponible, Ruisseau de Rose semblait toujours occupée. Perce-Neige sauta sur l’occasion. Elle désirait depuis déjà un bon moment prendre de ses nouvelles. Son ancienne apprentie devait assumer beaucoup plus de responsabilités depuis que Étoile de Charbon était tombé malade. La lieutenante avait donc beaucoup de travail et Perce-Neige ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour elle. Une partie d’elle était toujours la mentor qui ne voulait pas que son élève se blesse. Mais Ruisseau de Rose n’avait plus rien d’une apprentie et elle n’avait plus besoin que l’on veille sur elle. La guerrière le savait parfaitement, mais il était difficile pour elle de se débarrasser de cette veille habitude.

Perce-Neige s’approcha de son ancienne apprentie et s’assit en face d’elle. Elle posa délicatement le campagnol au sol et le poussa légèrement du bout de la patte vers Ruisseau de Rose. Elle regarda sa lieutenante d’un air qui se voulait souriant mais Perce-Neige était incapable de cacher son inquiétude. Elle n’avait jamais été très douée pour dissimuler ses émotions.

« On partage ? »

La guerrière remarqua alors que sa proie était un peu petite pour les nourrir toutes les deux. Elle se sentit stupide de ne pas avoir pensé à récupérer une autre prise avant d’aller la voir. Mais en fin de compte, partager une proie permettrait aux deux chattes d’avoir un vrai moment d’intimité. C’est ce que voulait Perce-Neige, mine de rien Ruisseau de Rose lui manquait. Elle s’allongea sur le ventre à ses côtés et poussa du bout du museau le campagnol un peu plus vers elle.

« Je te vois constamment faire plein de choses, tu dois être affamée. N’hésite pas à bien manger, la chasse a été bonne aujourd’hui. Museau de Quartz est un très bon chasseur, dès que je tournais la tête vers lui, je le voyais avec une nouvelle prise dans la bouche. Tu dois être une mentor formidable, je suis impressionnée. »

Perce-Neige lui fit un rapide clin d’œil. Malgré son enthousiasme, au fond d’elle, elle savait que Ruisseau de Rose n’était pas une bonne mentor grâce à elle. C’était un de ses plus grands regrets, de ne pas avoir su être à la hauteur lors de l’apprentissage de Ruisseau de Rose. Mais ce n’était pas le moment de ressasser le passé, Ruisseau de Rose était devenue lieutenante, Perce-Neige était très fière d’elle.

« Comment tu te sens ? Ce n’est pas trop fatiguant pour toi avec Étoile de Charbon malade ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là. »

Le ciel bleu clair de la saison des feuilles vertes se teintait graduellement de rose pâle et de jaune à mesure que le soleil descendait tranquillement vers les Hautes Pierres. Le tableau était magnifique et il permettait à Ruisseau de Rose, assise au pied du Haut Roc, de se relaxer. Cela faisait quelques jours, deux ou trois tout au plus, que la lieutenante tricolore était responsable de l’intégralité de ce qui se passait au Clan du Vent. Elle formait les patrouilles, réglait les conflits entre ses camarades et baptisait les nouveaux apprentis et guerriers. Ruisseau de Rose n’avait donc plus une minute à elle. Aussitôt que la chatte tricolore se posait quelque part pour faire sa toilette, sommeiller ou manger, on venait toujours la trouver pour une raison ou une autre.

Alors, lorsque Ruisseau de Rose vit Perce-Neige s’approcher, elle ne pût réprimer un grognement sourd. Elle ne voulait qu’un instant de paix et de tranquillité, était-ce trop demandé?

La guerrière blanche s’assied, déposant un campagnol devant elle, et miaula:
« On partage? »
Ruisseau de Rose baissa les yeux avec grand appétit sur le campagnol à ses pieds. Elle n’avait rien avalée de la journée; et elle était affamée.
« Je te vois constamment faire plein de choses, tu dois être affamée. N’hésite pas à bien manger, la chasse a été bonne aujourd’hui. Museau de Quartz est un très bon chasseur, dès que je tournais la tête vers lui, je le voyais avec une nouvelle prise dans la bouche. Tu dois être une mentor formidable, je suis impressionnée. »
« Merci Perce-Neige. »
Ruisseau de Rose se contenta de miauler, puis elle se jeta sur le campagnol avec grand appétit. Elle saisit le petit rongeur entre ses pattes et mordit à pleine dent dans la chair. Un craquement se fit entendre, puis la lieutenante tricolore releva la tête, du sang sur le museau. Elle le nettoya aussitôt d’un coup de langue.
« Comment tu te sens? Ce n’est pas trop fatiguant pour toi avec Étoile de Charbon malade? Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là. »
« N’importe quel chat serait débordé dans ma situation, mais je suis heureuse de pouvoir compter sur mes camarades de clans pour m’épauler. »

Perce-Neige ne put s’empêcher de sourire en voyant Ruisseau de Rose dévorer la prise qu’elle venait de lui proposer. La lieutenante devait vraiment être affamée, la chatte blanche avait bien fait de passer la voir. Cela dit, elle doutait de pouvoir goûter à ce campagnol, Ruisseau de Rose semblait bien trop motivée pour le finir à elle seule. Mais elle ne fut en aucun cas dérangée par l’entrain de son ancienne apprentie, la faim était une bonne maladie après tout, alors autant la laisser savourer. Alors que Perce-Neige regardait la chatte tachetée manger, celle-ci redressa la tête vers elle du sang plein le museau. D’un coup de langue efficace, elle se nettoya le museau pour écouter la guerrière.

« Comment tu te sens ? Ce n’est pas trop fatiguant pour toi avec Étoile de Charbon malade ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là. »

Il n’y avait rien de plus naturel pour Perce-Neige que de proposer son aide, surtout envers Ruisseau de Rose, elle aimait beaucoup la guerrière tachetée. Malgré un apprentissage approximatif, les deux femelles avaient vécu de bons moments ensemble. Et même si cela n’était plus arrivé depuis de nombreuses lunes, Perce-Neige n’avait pas oublié.

« N’importe quel chat serait débordé dans ma situation, mais je suis heureuse de pouvoir compter sur mes camarades de clans pour m’épauler. »

Perce-Neige regarda son interlocutrice d’un air compatissant. Ruisseau de Rose restait forte malgré la situation. Elle semblait toujours être forte, bien plus que la guerrière vétéran ne l’avait jamais été. Dès son apprentissage, elle s’était montrée mature et indépendante, sachant toujours gérer les problèmes qu’elle rencontrait. Il n’y avait rien de surprenant à ce qu’Étoile de Charbon l’ait choisie comme lieutenante, elle était plus qu’à la hauteur. Et elle le prouvait plus que jamais en cette période difficile. Comme elle l’avait expliqué, n’importe qui gérerait beaucoup moins bien la situation. Ruisseau de Rose faisait du très bon boulot. Perce-Neige hocha légèrement la tête d’un air entendu avant de lui répondre.

« C’est vrai que tout le monde fait de son mieux pour surmonter ces temps difficiles, même si le Mal Rouge ne nous facilite vraiment pas la tâche. En tout cas, tu as l’air de très bien t’en sortir, Étoile de Charbon doit être fier de t’avoir comme lieutenante. J’espère d’ailleurs qu’il va se remettre rapidement, le clan a besoin de lui. »

À la fin de sa phrase, Perce-Neige se redressa et s’étira, les pattes bien en avant. En quelques pas, elle s’installa juste à côté de Ruisseau de Rose et lui donna un rapide coup de langue entre les oreilles. La lieutenante aurait bien besoin de se détendre un peu et Perce-Neige ne voulait en aucun cas l’importuner avec les problèmes que rencontrait le clan.

« Que dis-tu que je te fasse un brin de toilettes ? Ça te ferait du bien après une longue journée. Et on peut parler du bon vieux temps, tout me semble lointain, mais on a vécu plein de choses toutes les deux, je suis nostalgique. » En voyant son repas à moitié mangé, elle ajouta. « Oh ! Et tu peux finir le campagnol, j’irai me chercher autre chose à manger un peu plus tard. »

Ruisseau de Rose croisa le regard bleu ciel de Perce-Neige. Elle pût trouver de la compassion, mais également de l'admiration dans les prunelles sombres de la guerrière blanche. Cela lui fît chaud au cœur. La lieutenante tricolore avait toujours parût forte pour son entourage, mais ce que l'on devait comprendre est que c'était grâce à leur assistance si elle pouvait se permettre d'être aussi courageuse. Elle devait beaucoup à sa famille et ses amis qui plaçaient en elle une confiance presque infinie. De plus, chacun de ses traits de personnalité lui avait été enseigné par un chat ou un autre, et sans vraiment s'en douter, Perce-Neige lui avait transmis son côté protecteur.

Perce-Neige acquiesça avant de répondre:
« C’est vrai que tout le monde fait de son mieux pour surmonter ces temps difficiles, même si le Mal Rouge ne nous facilite vraiment pas la tâche. En tout cas, tu as l’air de très bien t’en sortir, Étoile de Charbon doit être fier de t’avoir comme lieutenante. J’espère d’ailleurs qu’il va se remettre rapidement, le clan a besoin de lui. »
Perce-Neige se leva ensuite. Elle s'étira de tout son long, les pattes antérieures bien allongés devant elle. Puis, la guerrière blanche vînt s'étendre auprès de Ruisseau de Rose, son pelage immaculé frôlant celui tacheté de son ancienne apprentie. La lieutenante tricolore fût surprise lorsque son ancien mentor lui donna un coup de langue entre les deux oreilles, mais elle ne dit rien car elle savait qu'il était inutile de tenter de raisonner Perce-Neige sur son attitude un peu trop maternel. Alors, Ruisseau de Rose s'en accommoda donc.
« Que dis-tu que je te fasse un brin de toilettes? Ça te ferait du bien après une longue journée. Et on peut parler du bon vieux temps, tout me semble lointain, mais on a vécu plein de choses toutes les deux, je suis nostalgique. Oh! Et tu peux finir le campagnol, j’irai me chercher autre chose à manger un peu plus tard. »
« Merci Perce-Neige. »
Ruisseau de Rose miaula avec un tel soulagement dans la voix que l'on pouvait aisément croire que la fatigue la gagnait plus rapidement que la satiété. Cependant, elle continua de dévorer le campagnol avec grand appétit, tout en ronronnant sous les coups de langue réconfortants de la guerrière blanche. Perce-Neige avait été comme une mère de substitution pour elle, là où Plume de Sauge avait malheureusement échoué. La lieutenante tricolore avait donc énormément d'affection pour elle.
Ruisseau de Rose miaula entre deux bouchées:
« Tu sais, l'époque où j'étais ton apprentie me manque aussi. Je me rends compte que la vie à cette époque était beaucoup moins compliqué. Je voulais seulement devenir guerrière, et maintenant... je cherche à protéger mes camarades et le Clan à tout prix. »

« Merci Perce-Neige. »

Ruisseau de Rose semblait soulagée à l’idée que la guerrière lui fasse sa toilette. Perce-Neige secoua très légèrement ses moustaches, satisfaite de pouvoir aider son ancienne apprentie à se détendre. Elle savait pertinemment que sa lieutenante en avait besoin, surtout en cette période difficile. Il faut savoir parfois prendre une pause et ne plus penser à ses problèmes. Elle se mit donc au travail, ne pouvant retenir un petit ronronnement, ravie d’avoir un petit moment intime avec son ancienne élève. Elle n’y alla pas de main morte et lui donna de gros coups de langue comme si elle cherchait de cette manière à rattraper le temps perdu. Elle fut rassurée de voir que Ruisseau de Rose avait un bon appétit, celle-ci était en train de dévorer le campagnol que la guerrière blanche lui avait laissé.

« Tu sais, l'époque où j'étais ton apprentie me manque aussi. Je me rends compte que la vie à cette époque était beaucoup moins compliqué. Je voulais seulement devenir guerrière, et maintenant... je cherche à protéger mes camarades et le Clan à tout prix. »

Ce fut son ancienne apprentie qui rompit le silence, au plus grand plaisir de Perce-Neige, elle appréciait l’idée que Ruisseau de Rose ose se confier à elle. Perce-Neige regarda avec affection la guerrière, c’est vrai que ça ne devait pas être facile pour elle. Car déjà être une guerrière dans le Clan du Vent demandait beaucoup de responsabilités, alors être lieutenante devait être encore plus épuisant. Toutes les choses auxquelles elle se devait de penser ou dont elle devait s’occuper, Perce-Neige ne pouvait qu’admirer son courage. Surtout, qu’actuellement, elle semblait plus avoir un rôle de chef que de lieutenant.

Perce-Neige comprenait très bien ce que ressentait Ruisseau de Rose, tout était allé si vite pour elle. Même si la chatte au pelage blanc n’était pas surprise que son ancienne apprentie soit devenue lieutenante, elle n’avait pas imaginé que ce serait arrivé aussi rapidement. La lieutenante avait raison, tout devait être plus facile lorsqu’elle était apprentie. Mais personne n’aurait pu être aussi compétente qu’elle pour ce rôle, Perce-Neige en était certaine, elle la connaissait, elle savait de quoi elle était capable. Étoile de Charbon avait fait le bon choix.

Perce-Neige continua de lécher le beau pelage tacheté de son ancienne élève. Malgré la fatigue, Ruisseau de Rose semblait toujours très bien entretenir sa fourrure. Si bien que la toilette de Perce-Neige n’était pas réellement nécessaire et n’avait pour but finalement que de l’aider à se détendre. C’était déjà beaucoup. Elle répondit vivement à son ancienne élève.

« Je te comprends, ça ne doit pas être facile pour toi. Pour être honnête, l’époque où tu étais mon apprentie me manque aussi beaucoup. On passait des bons moments toutes les deux. » Perce-Neige redressa doucement la tête, elle venait de se rappeler un vieux souvenir. « Tu te souviens quand tu as attrapé ta première proie ? Tu avais suivi mes instructions à la lettre et ce pauvre lapin n’a même pas eu le temps de réagir avant que tu ne l’attrapes. Il était presque aussi gros que toi à l’époque. »

Perce-Neige avait encore parfaitement l’image en tête de la petite Nuage de Rose qui s’approchait d’elle, toute fière, tenant difficilement entre ses crocs sa première prise. La guerrière remua ses moustaches, amusée par ce bon souvenir. Même si le tableau était amusant, Perce-Neige avait surtout ressenti une grande fierté pour son élève ce jour-là.

« J’ai tout de suite compris que tu serai une excellente chasseuse et que tu n’allais pas cesser de me surprendre et de m’impressionner. Et on peut dire que je n’ai pas été déçue ! T’avoir en tant qu’apprenti fut une expérience très enrichissante, je pense que lors de cette période j’ai autant appris que toi. Je n’ai jamais eu l’occasion de te remercier, alors merci à toi. »

Le camp était paisible. Le temps serein. Ruisseau de Rose était détendue, ses muscles décontractés, son regard bleu acier placide. Perce-Neige était posé à côté, son corps relaxé et sa respiration tranquille. Les deux chattes étaient pépères, couchés peinards sur l’herbe dans une position flegmatique, affichant toutes les deux une expression impassible sur leurs visages. Le regard habituellement froid, indifférent et insensible de Ruisseau de Rose était doux et ému. Le balancement de sa queue semblait indiqué qu’elle était furieuse, mais la chatte tricolore était plutôt impavide de se replonger dans son passé. Elle semblait imperturbable, inébranlable et pondérée dans ses souvenirs de son apprentissage, quiète, silencieuse et légèrement tremblante. La tranquillité, la paix et la quiétude de ce moment d’accalmie la saisie d’une douceur maternelle. Ruisseau de Rose se souvient alors de la sérénité régnant dans la pouponnière dans son enfance et elle laissa le repos et le silence emmener doucement son corps tout entier vers l’immobilité...

Ruisseau de Rose n'ajouta rien, Perce-Neige devina que son amie était plongée dans ses pensées. La guerrière banche l'observa le regard plein d'affection, commençant elle aussi à se remémorer de vieux souvenirs. Elle ne put s'empêcher de repenser à son propre apprentissage, le bonheur qu'elle avait ressenti en passant apprentie, sa toute première sortie sur le territoire de son clan, ses nombreux combats d’entraînements en compagnie de son mentor et surtout la fierté des chats du Clan du Vent lorsqu'elle était devenue guerrière.

Perce-Neige sentit sa respiration ralentir doucement, sa queue bougeant de moins en moins, ses yeux clignant de plus en plus régulièrement. Elle jeta un rapide coup d’œil vers sa camarade qui semblait elle aussi doucement s'endormir. Perce-Neige qui faisait toujours la toilette de son amie, lui donna des coups de langue plus légers pour lui permettre de se reposer plus convenablement. Un peu après que son amie se soit endormie, la guerrière au pelage blanc commença à faire sa propre toilette. Elle en avait bien besoin après cette longue journée. Mais la fatigue vint la rattraper rapidement, elle était heureuse d'avoir pu prendre soin de Ruisseau de Rose et ce fut sur cette note positive qu'elle s'endormit à ses côtés.

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